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The European Food Summit
Brussels, 11-12 April 2002 |
Qualité et confiance du consommateur
: avant le 27 mars 1996, les choses étaient simples pour les journalistes
accrédités à Bruxelles - aujourd'hui nous sommes plus
de 800, soit le plus gros rassemblement permanent de presse au monde.
Le débat sur la qualité alimentaire était alors presque
caricatural, se limitant à des échanges d'arguments, sans grande
portée finalement, entre les défenseurs de la qualité
gustative - en gros le sud de la Communauté européenne - et
ceux essentiellement préoccupés par la qualité sanitaire
de la nourriture - Britanniques et Néerlandais en tête.
Je me souviens ainsi d'une très agréable réunion informelle
des ministres de l'agriculture des douze Etats membres de l'époque,
organisée par la France qui présidait la Communauté.
Cette rencontre, qui se déroulait sur trois jours en Bourgogne, a été
l'occasion - voulue par Paris - de démontrer qu'on ne peut et doit
pas mettre à mal la qualité gustative des aliments, due parfois
au caractère presque artisanal de leur production, sous prétexte
de sécurité sanitaire et d'harmonisation européenne.
A l'époque, l'industrie agroalimentaire
se faisait surtout connaître par ses résultats financiers et
son rôle d'employeur. Elle avait donc essentiellement des relations
avec la presse financière dans les capitales concernées. Les
journalistes accrédités auprès des Communautés
y prêtaient finalement peu d'attention, leur mission étant surtout
de couvrir les affaires politiques et macro-économique.
Tout juste savait-on, sans trop en connaître les détails, que
ces entreprises et leurs représentants travaillaient dur pour répondre
aux exigences normatives - et ma foi fort techniques - du grand marché
européen.
De la même manière, les observateurs,
comme on dit, n'établissaient pas vraiment un lien entre deux mondes
économiques qui semblaient seulement cohabiter : l'agriculture et sa
puissante politique commune, l'agroalimentaire et sa puissance industrielle.
Le premier savait se faire entendre, prompt à défendre ses intérêts
et couvé par certains gouvernements ; le second restait finalement
très discret.
Ce 27 mars 1996, tout bascule. Effervescence
dans la salle de presse de la Commission européenne à Bruxelles
: à titre de mesure d'urgence, l'exécutif vient de décider,
de sa propre initiative, d'interdire l'exportation des bovins sur pied, des
viandes bovines et des produits à base de viande bovine britanniques
vers autres Etats membres de l'Union européenne et le reste du monde.
En cause, bien sûr : l'annonce la semaine précédente,
par Londres, d'un lien possible entre l'ESB et la maladie de Creutzfeld-Jakob,
la MCJ.
Le communiqué de presse publié ce jour-là par la Commission
est symptomatique de l'état d'esprit du moment, puisqu'il motive cet
embargo surtout par la nécessité urgente de stabiliser le secteur
de la viande bovine plongé dans une crise depuis l'annonce britannique.
Le même communiqué assure, je cite, que, « les preuves
laissent penser que même s'il y avait un lien entre l'ESB et la MCJ,
le risque pour la santé humaine a été éliminé
ou, au pire, réduit à un niveau minimal après l'interdiction,
instaurée, en 1989, d'introduire dans la chaîne alimentaire des
abats spécifiés de bovins ».
Et le commisaire européen à l'agriculture, Franz Fischler, d'ajouter,
toujours selon ce communiqué : « le seul produit sur lequel un
doute, d'ailleurs très faible, subsiste est la viande bovine du Royaume-Uni
».
On connaît la suite.
Ce rappel historique était sans doute un peu long pour un auditoire qui n'a certainement pas la mémoire courte. Mais il est utile pour expliquer ce qu'est devenue depuis, à Bruxelles au moins, l'information sur la qualité et la sécurité alimentaires.
Après mars 1996, le soupçon
s'est installé, la presse considérant, à tort ou à
raison, que la Commission avait occulté des informations ou des données
sur l'ESB, afin d'éviter de mettre à mal la production de viande
bovine, et donc le budget communautaire.
En fait, il était reproché aux services bruxellois et à
leurs patrons de se contenter d'une gestion agricole de la crise et de reléguer
les questions de sécurité sanitaire et de consommation au second
plan.
Le ver était dans le fruit : les « fuites » plus ou moins
bien intentionnées se sont mutipliées, certains journalistes
bruxellois se sont fait une spécialité de débusquer les
atermoiements et différends au sein même de la Commission dans
la gestion de la crise.
Devenu énorme sur le plan politique, ce dossier et divers dysfonctionnements
dans d'autres domaines ont abouti à la démission collective
de l'équipe de Jacques Santer.
Une démission qui est aussi l'oeuvre du Parlement européen.
Totalement inédit, cet épisode de l'histoire communautaire a eu deux conséquences fortes : la nécessité impérieuse, pour la nouvelle Commission de Bruxelles, de faire preuve d'un légalisme absolu dans le domaine de la sécurité alimentaire et même de se donner un rôle de pionnière en la matière ; une prise de pouvoir parlementaire, comme en ont attesté les auditions préliminaires peu glorieuses que les députés ont fait subir à tous les nouveaux commissaires européens.
De là découlent le système d'information qui prévaut à ici aujourd'hui et, partant, l'image que la presse spécialisée a des institutions européennes dans leur rôle de gardiennes de la sécurité alimentaire.
La Commission européenne, tout d'abord.
Elle se veut la championne de la « transparence », mot encore
plus à la mode depuis l'adhésion de la Suède et de la
Finlande à l'Union.
Sur la base de son Livre blanc sur la sécurité alimentaire,
elle multiplie les propositions - des compléments alimentaires aux
ingrédients autorisés dans les aliments pour animaux en passant,
bien sûr, par les mesures de lutte contre la maladie de la vache folle,
mais aussi contre l'utilisation des hormones dans l'élevage et les
épizooties en tout genre. C'est sans doute très bien. C'est
peut-être trop, peut-être trop vite.
C'est en tout cas indigeste, si j'ose utiliser ce qualificatif en l'occurrence,
pour la pauvre presse accréditée à Bruxelles qui n'est
pas formée pour ingurgiter un tel flot d'informations.
Un flot, que dis-je, un raz-de-marée. Envoi groupé d'e-mails,
détaillant au jour le jour l'avis scientifique le plus obscur - en
tout cas incompréhensible pour le commun des journalistes - ou soulignant
la satisfaction, assez régulière, du commissaire à la
santé et la protection des consommateurs, David Byrne, après
telle ou telle adoption par le collège européen de telle ou
telle proposition jugée bien entendu essentielle. Piles de communiqués
disponibles dans la salle de presse de la Commission où se retrouve
quotidiennement et religieusement à midi une bonne partie des journalistes
accrédités.
A se demander si, effectivement, trop d'information ne tue pas l'information
et si trop de transparence affichée ne nuit pas à la transparence.
Enfin, vaut mieux cela que le contraire.
Le Parlement européen, ensuite. Forte
de son nouvel ascendant politique sur la Commission de Bruxelles, l'Assemblée
- qui dispose aujourd'hui du pouvoir de codécision avec le Conseil
des ministres sur les questions de sécurité alimentaire - n'y
va pas de main morte.
Chaque député de la commission parlementaire concernée
s'est transformé en expert de la chose, et le fait savoir à
la presse, à sa presse nationale surtout.
Les lobbies peuvent s'en donner à cœur joie.
Même le Conseil des ministres, jusque-là plutôt dédaigneux,
semble ou fait mine d'attendre avec anxiété les prises de position
de Strasbourg.
Le Conseil des ministres, justement. C'est
là que se jouent les arbitrages face à la législation
foisonnante proposée par la Commission, et parfois alourdie par le
Parlement européen. En la matière, si le « toujours plus
» ou le « plus sanitaire que moi, tu meurs », pour user
d'une expression un brin cavalière, semble la règle à
Bruxelles, il revient, qu'on le veuille ou non, aux représentants des
gouvernements de trancher, de faire la part du réalisable et de l'utopique,
du politiquement ou économiquement jouable et du politiquement correct.
Dans ce travail difficile, le Conseil est aidé par un service de presse
efficace, sobre et fortement apprécié des journalistes.
Par gentillesse, je glisserai sur l'impact que peuvent avoir sur la presse d'autres organes communautaires comme le Comité économique et social et le Comité des régions, très sympathiques forums de discussion entre gens certainement très avertis.
Les représentants à Bruxelles
du monde agricole, enfin. Ils sont regroupés au sein du Copa et du
Cogeca pour les coopératives, structure assez lourde qui n'a pas une
politique de presse très appuyée.
On connaît toutefois la capacité de l'agriculture à se
faire entendre, l'écoute dont elle bénéficie encore de
la part du gouvernement dans certains pays.
Le secteur agricole est toutefois mis à mal aujourd'hui sur le plan
politique. A Bruxelles en tout cas. L'époque où ses leaders
trouvaient toujours ouvertes les portes des hauts fonctionnaires européens
est aujourd'hui révolue.
Les projets de réforme de la Pac présentés ci et là
- généralement « cost killers » - banalisent son
rôle de producteur, rôle confié aux exploitations efficaces,
les autres se voyant plutôt confinées dans celui de gardien de
l'environnement, du paysage, de la ruralité ou ce qu'il en reste.
Et l'industrie agroalimentaire, me demanderez-vous,
comment peut-elle ou doit-elle se situer dans ce concert ? Permettez-moi,
avant de vous remercier de votre écoute, de vous renvoyer la question
et d'en soulever quelques-unes.
- l'industrie doit-elle continuer à rester discrète, malgré
les défis qui lui sont lancés chaque jour, malgré son
savoir et son savoir-faire ? Ou doit-elle mandater ses représentants
à Bruxelles, qui sont parfaitement au courant des arcanes communautaires,
pour communiquer plus, avec la presse européenne notamment ?
- l'industrie ne doit-elle pas, au-delà des relations que l'on peut
avoir avec un fournisseur et un client, se rapprocher de l'agriculture et
de la distribution pour faire valoir haut et fort, quand cela est possible,
la position de la chaîne alimentaire, alors même que va voir le
jour la nouvelle Autorité européenne pour la sécurité
des aliments ?
- l'industrie ne doit-elle pas se faire entendre plus clairement, alors qu'elle
doit faire face à deux contraintes parfois contradictoires : une normalisation
européenne de plus en plus exigeante et une libéralisation des
échanges accrue ?
Sans parler du prochain élargissement de l'Union, avec ses conséquences
plus ou moins prévisibles sur le plan économique et sur l'équilibre
de la construction européenne.
Je vous remercie et suis prêt à répondre à vos éventuelles questions, bien que d'habitude, de par mon métier, ce soit plutôt moi qui les pose.